Charlotte Delval ; Louise Rauschenbach
EPIDERMIC
Project Info
- đ QUATRE, artist run-space, Rennes
- đ Vincent-MichaĂ«l Vallet
- đ€ Charlotte Delval ; Louise Rauschenbach
- đ Vincent-MichaĂ«l Vallet
- đ Vincent Girard
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Epidermic est une exposition collective signée par Charlotte Delval et Louise Rauschenbach. Elle résulte de la premiÚre résidence « Break » organisée par le QUATRE ARTIST RUN SPACE et ayant eu lieu en juillet et août 2023.
Tout au long de notre existence, lâĂ©piderme demeure un marqueur. Il changera de teinte en rĂ©agissant aux fluctuations de tempĂ©rature et aux inconforts occasionnels. Câest Ă travers lui que sâĂ©chapperont nos fluides les plus intimes, transpirations, sang et pus. Sâil nous enveloppe et nous protĂšge, câest aussi lui qui sâaltĂšre le plus vite. Lorsque lâon meurt, il se ternit, se nĂ©crose et pourri. Nos corps morts deviennent alors autre chose, ils sâenterrent et se dĂ©composent, ils se brĂ»lent et se rangent dans des urnes crĂ©Ă©es pour lâoccasion.
Aborder la mort, câest souvent imaginer lâaprĂšs, tout du moins sa potentialitĂ©. Câest pourquoi la premiĂšre installation de Louise Rauschenbach convoque le mythe antique de Charon, le passeur des enfers qui moyennant une piĂšce dâor nous permet de traverser le Styx et rejoindre le royaume des morts. Un Styx sur lequel flottent des nĂ©nuphars pourvus de doigts crochus prĂȘts Ă saisir qui sây pencherait de trop prĂšs. Faut-il rappeler que ce plongeon sâil survenait, serait irrĂ©mĂ©diable ; car le Styx est lui-mĂȘme composĂ© dâautres affluents que sont le fleuve du chagrin, le torrent des lamentations et le ruisseau de lâoubli. Sur les berges de celui-ci, sur le sol et les parois auraient alors poussĂ© les sculptures en savon de Charlotte Delval. Ces derniĂšres ressemblent Ă des espĂšces vivantes, vivaces et invasives. La matiĂšre qui les compose revĂȘt lâapparence dâune membrane, parfois suintant. Elles poussent, croissent et forment un dĂ©cor-monde irrĂ©aliste. Un coquillage VĂ©nus aux cheveux blonds, des langues duveteuses au bout desquelles pendent parfois des boucles dâoreilles devenues piercings. Autant de formes, accessoirisĂ©es, souvent sexuĂ©es dont on soupçonne quâelles attendent de se reproduire. Elles pourraient tout autant ĂȘtre le dernier reflet des corps quâelles auraient vu passer, sâĂȘtre nourri dâeux et de leurs biens, car Ă dâautres Ă©gards, elles Ă©voquent des objets du passĂ©. Ne serait-ce pas ces Ăąmes voyageuses, en route vers les enfers, qui sâen serait dĂ©lestĂ© avant dâembarquer ? Car certaines dâentre elles, ont Ă©tĂ© formellement inspirĂ©es par des cĂ©ramiques antiques, et Charlotte Delval nous les ressuscite sous une version Ă©phĂ©mĂšre et fragile, tĂ©moins amaigris de leurs anciens usages, mais pour autant toujours aptes Ă jouer leurs rĂŽles de rĂ©ceptacles.
Epidermic pourrait donc ĂȘtre le nom de ce nouveau territoire esquissĂ© par les artistes. Ce lieu oĂč il serait question dâabandonner nos vieilles peaux comme on se dĂ©laisse de nos oripeaux. Câest dâailleurs ce dont il sâagit plus loin, lorsque lâon tombe sur ce corps en cĂ©ramique Ă moitiĂ© allongĂ© rĂ©alisĂ© par Louise Rauschenbach. Ce personnage sâest-il lui-mĂȘme dĂ©lestĂ© de ce corps trop lourd ou est-il mort dâavoir touchĂ© ou senti lâune des sculptures qui lâentoure ? Par chance, on Ă©chappe Ă lâodeur de cadavre en dĂ©composition pour sentir, par effluve, celle du savon. Câest ainsi que le dialogue entre les Ćuvres se jouent de nous. Elles se complĂštent mutuellement, dĂ©possĂšdent et sâapproprient des Ă©lĂ©ments que lâon penserait constitutifs de lâune pour les associer Ă lâautre. Un corps mort devient une cĂ©ramique lisse, brillante, et un vase antique se voit affublĂ© de reste capillaire et dâune surface organique, grouillante. Autant de tricks qui nous rappelle « lâinquiĂ©tante Ă©trangetĂ© » formulĂ©e par Freud.
Ne garder que lâĂ©piderme câest aussi concevoir le corps comme un rĂ©ceptacle. Le tueur en sĂ©rie Ed Gein dĂ©peçait ses victimes et conservait la peau pour en faire des costumes dans lesquels il venait se lover. Dans les Ćuvres prĂ©sentĂ©es ici, on sâinterroge Ă notre tour sur les vides et les absences. Sont-ils autant de refuges et dâabris potentiels. La barque est vidĂ©e de son occupant et le corps nâest plus quâune coquille vide. Câest aussi en partie le vide qui dĂ©finit les sculptures de Charlotte Delval qui apparaissent comme des chrysalides dont lâoccupant aurait fini sa mĂ©tamorphose et aurait quittĂ© les lieux.
En gardant le titre Ă lâesprit, lâĂ©piderme offre une comprĂ©hension des Ćuvres exposĂ©es et des interrelations qui les sous-tendent, mais incite le spectateur Ă parcourir lâexposition, animĂ© par une question simple et certainement insoluble. Si le vide invite Ă penser la potentialitĂ© et la possibilitĂ©, câest surtout quâil nous convoque sans cesse. Dans ce dernier, dans les creux et les absences, quelle part de moi puis-je y mettre ?Â
Vincent-Michaël Vallet
Vincent-Michaël Vallet