LOG 3: Interceptor
Églantine Laprie-Sentenac & Valentine Traverse
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Semantic satiation has always fascinated me, perhaps to the point of disturbance. This phenomenon in which the repetition of a word or phrase causes it to become nothing but meaningless sounds. “Because of all the variations in meaning, shifts in meaning, losses of meaning that words may undergo, it happens that at a given moment they no longer operate upon reality or realities.”(1) This is why when monopôle invited me to propose an exhibition in resonance with the biennale de Lyon, I wanted to avoid proposing a grandiose title that, when pronounced and repeated, would lose its meaning. A promise or aspiration that would only sound like the wah wah wah of adults’ voices in Peanuts(2) cartoons – because adults are never very interesting after all.
(´・_・`) is thus unpronounceable, yet evokes a sensation. (´・_・`) is fragile, yet with an attentive eye; on the brink of tears, yet fully aware; vulnerable, yet on guard; shocked, yet lucid. (´・_・`) is the face of a hypersensitive being that has the power to be affected, to be overwhelmed, and to use it as its strength. “Too fragile or lucid for heroism, the hypersensitive simply attempts to identify the extreme intensity of a common vulnerability.”(3)
Material geographies deeply entangled with the vulnerabilities of our society unfold through the works of Églantine Laprie-Sentenac and Valentine Traverse. Each of their practices begins from an origin where weakness is revealed to be as strong as the systems it grapples with, it deconstructs. Fragile materials and precarious assemblages are protected, venerated, all the while pointing at the absurdity of the world that surrounds us. Objects and words become receptacles of human aspirations as they conjure intimate and contingent dynamics of power, desire, and sensitivity.
Although the common vulnerability of our society is evoked and given shape in both of their practices, there is a simultaneous collision and complimenting of aesthetic universes at play here. The materials are often poor, yet the taming gestures vary. In the volumes by Églantine Laprie-Sentenac, everything is wrapped, sleek, entrapped within boxes and receptacles, conveying the ludicrous attempts of society to control the uncontrollable. Visual games of transparency and opaqueness result in an oscillation of exposure. Valentine Traverse’s works, on the other hand, evoke an eye that does not know where to look – yet it is an eye that nevertheless sparkles in the face of absurdity, picking up dispersed elements and bringing them together in an explosion of colours, forms, sculptures, drawings and words. “Like a child who reprimands her toys(4),” Valentine Traverse shakes her finger in disapproval at systems of power and circulation. Together, the artists provoke the viewer while concealing and revealing their sensibilities. And humour is often the trick.
A paper mâché puzzle made of an endless stream of insurance bills that never seems to cover anything hangs from the wall (Valentine Traverse, mauvais mauvais_bon bon, 2022). Looking out at us from inside, a phantomatic figure not far from that seen in our title: an image thus of a society stuck within the trappings of absurd systems rendered colorful, turned into a toy or kaleidoscope of chaos. Not far away, the words “CITIZEN FRANCE” are read next to a winking rooster, wrapped in plastic, as if it is he who holds the secret to what it is of being a proper citizen – whatever that means (Églantine Laprie-Sentenac, ;), 2022). With these works and their peers, the presence of bills, plastic, paper, cheap toys, packing materials, etc. remind us of how the circulation of goods in our neoliberal society has fragilized the virile systems that have created them.
In The Last Interview and Other Conversations, Philip K. Dick wrote, “We must content ourselves with the mystery, the absurdity, the contradictions, the hostility, but also the generosity that our environment offers us.”(5) We thus must also look through the lucid lens of the hypersensitive, as a way of identifying the extreme intensity of our shared vulnerability, to cite Evelyne Grossman. In a world that has venerated the virile, this may be, it seems, the only way to undo the seemingly powerful structures that surround us, the way of finding their weakness, and using that as our own strength.
(1) Monique Wittig, Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Grasset, 2011, p. 153.
(2) In the Peanuts cartoons, whenever an adult, usually Charlie Brown's teacher, spoke, you heard nothing but a round, sinister mumble, which was actually a poorly played trombone. I get the impression that recent exhibition texts - and surely mine as well, perhaps even this one - are often a long list of promises or wah wah wah, so I can't help but make this connection.
In one episode in particular, Charlie Brown participates in a spelling bee. The first word to be spelt is 'failure', pronounced in a trombone voice, thus, unintelligible until Charlie repeats it, followed by 'insecurity'; two words Charlie admits to knowing well, and which correspond to much of what I'm feeling at the moment.
(3) Evelyne Grossman, Éloge de l’hypersensible, Éditions de Minuit, 2019, p. 25.
(4) Conversation with the artist, August 2022.
The Peanuts reference is perhaps also a way of introducing the regressive atmosphere here, as if a small child was fiddling with a bunch of objects and then looking up at us as such: (´・_・`)
(5) Philip K. Dick, « Even Paranoids have Enemies », entretien avec Paul Williams, octobre 1974, dans The Last Interview and Other Conversations, p. 56.
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La saturation sémantique m'a toujours fascinée, peut-être au point de me troubler. Ce phénomène par lequel la répétition d'un mot ou d'une phrase fait qu'ils ne deviennent plus que des sons dénués de sens. « À cause de tous les déplacements de sens, glissements de sens, pertes de sens que les mots ont tendance à subir, il arrive un moment où ils n’agissent plus sur la ou les réalités(1) ». Voilà pourquoi, lorsque monopole m'a invitée à proposer une exposition en résonance avec la biennale de Lyon, j'ai voulu éviter de proposer un titre grandiose qui, prononcé et répété, perdrait son sens. Une promesse ou une aspiration qui aurait comme seul son le wah wah wah des voix d'adultes dans les dessins animés Peanuts(2) – parce que les adultes ne sont après tout jamais très intéressant·es.
(´・_・`) est donc imprononçable, mais évoque une sensation. (´・_・`) est fragile, mais avec un œil attentif ; au bord des larmes, mais pleinement conscient·e ; vulnérable, mais sur ses gardes ; en état de choc, mais tout de même lucide... (´・_・`) est ainsi le visage d'un être hypersensible qui a le pouvoir d'être affecté·e, d'être bouleversé·e, et d'en faire sa force. « Trop fragile pour l'héroïsme ou trop lucide, l'hypersensible essaierait tout juste de nommer l'extrême intensité d'un vulnérable commun(3) ».
Des géographies matérielles profondément enchevêtrées avec les vulnérabilités de notre société se déploient à travers les œuvres d'Églantine Laprie-Sentenac et de Valentine Traverse. Leurs pratiques respectives puisent là où la faiblesse se révèle aussi forte que les systèmes qu'elles affrontent et déconstruisent. Matériaux fragiles et assemblages précaires sont protégés, vénérés, tout en pointant l'absurdité du monde qui nous entoure. Les objets et les mots deviennent les réceptacles des aspirations humaines en évoquant les dynamiques intimes et contingentes du pouvoir, du désir et de la sensibilité.
Bien que la fragilité de notre société soit évoquée et mise en forme dans leurs pratiques respectives, il y a ici à la fois une collision et une complémentarité des univers esthétiques en jeu. Les matériaux sont souvent pauvres, mais les gestes pour les apprivoiser varient. Dans les volumes d'Églantine Laprie-Sentenac, tout est enveloppé, épuré, piégé dans des boîtes et des réceptacles, traduisant les tentatives ridicules de la société pour contrôler l'incontrôlable. Des jeux visuels de transparence et d'opacité aboutissent à une oscillation de la visibilité. Les œuvres de Valentine Traverse, quant à elles, évoquent un œil qui ne saurait pas où regarder – un œil qui pourtant pétille face à l'absurde, ramassant des éléments dispersés et les rassemblant dans une explosion de couleurs, de formes, de sculptures, de dessins et de mots. « Comme un enfant qui engueule ses jouets(4) », Valentine Traverse secoue son doigt en signe de désapprobation des systèmes de pouvoir et de circulation. Ensemble, les artistes provoquent le·la spectateur·trice en dissimulant et révélant tout à la fois leurs sensibilités. Et l'humour est souvent au rendez-vous.
Au mur est suspendu un casse-tête en papier mâché fait d'un flot sans fin de factures d'assurance qui ne semblent jamais couvrir quoi que ce soit (Valentine Traverse, mauvais mauvais_bon bon, 2022). Pas très éloignée de celle de notre titre, une figure fantomatique nous regarde de l’intérieur : l’image d'une société coincée dans les rouages de systèmes absurdes rendus colorés, transformés en jouet ou en kaléidoscope du chaos. Non loin de là, on peut lire les mots « CITIZEN France » (Citoyen France) à côté d'un coq esquissant un clin d’œil, emballé dans du plastique, comme si c'était lui qui détenait le secret de ce qu'est un·e bon·nne citoyen·ne – quoi que cela signifie (Églantine Laprie-Sentenac, ;), 2022). Avec ces œuvres et leurs voisines, la présence de factures, de plastique, de papier, de jouets de mauvaise qualité, de matériaux d'emballage, et ainsi de suite, nous rappelle comment la circulation des biens au sein de notre société néolibérale a fragilisé les systèmes soi-disant puissants qui les ont créés.
Dans un entretien, Philip K. Dick disait : « Nous devons nous contenter du mystère, de l'absurdité, des contradictions, de l'hostilité, mais aussi de la générosité que nous offre notre environnement(5) ». Nous devons donc aussi regarder à travers le prisme lucide de l'hypersensible, comme un moyen de nommer l'extrême intensité de notre vulnérabilité commune, pour faire écho aux propos d’Evelyne Grossman. Dans un monde qui a vénéré le viril, c'est peut-être, semble-t-il, le seul moyen de défaire les structures apparemment puissantes qui nous entourent, le moyen de trouver leur faiblesse et d’en faire notre propre force.
(1) Monique Wittig, Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Grasset, 2011, p. 153.
(2) Dans les dessins animés Peanuts, chaque fois qu’un·e adulte, généralement la maîtresse de Charlie Brown, prenait la parole, on n’entendait rien d'autre qu'un marmonnement rond et sinistre, qui était en fait un trombone mal joué. J'ai l'impression que les textes des expositions récentes – et sûrement les miens, peut-être même celui-ci – sont souvent une longue liste de promesses ou de wah wah wah, c'est pourquoi je ne peux m'empêcher de faire ce lien.
Dans un épisode, Charlie Brown participe à un concours d'orthographe. Le premier mot à écrire est « échec », prononcé avec la voix de trombone, donc, incompréhensible jusqu’à que Charlie le répète, suivi de « insécurité » ; deux mots que Charlie avoue bien connaître, et qui correspondent à une grande partie de ce que je ressens en ce moment.
La référence aux Peanuts est peut-être aussi une façon d'introduire l'atmosphère régressive ici présente, comme si un petit enfant se démenait avec un tas d'objets et nous regardait ensuite comme tel : (´・_・`)
(3) Evelyne Grossman, Éloge de l’hypersensible, Éditions de Minuit, 2019, p. 25.
(4) Discussion avec l’artiste, août 2022.
(5) Philip K. Dick, « Even Paranoids have Enemies », entretien avec Paul Williams, octobre 1974, dans The Last Interview and Other Conversations, p. 56.
Katia Porro